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LES ROUGON-MACQUART

devait être dans sa cuisine, à l’attendre. Ce fut une nouvelle angoisse. Elle redoutait de rentrer maintenant, elle aurait préféré gagner la rue, fuir au loin, pour toujours. Cependant, elle entrebâilla la porte, et elle fut soulagée, en n’apercevant pas la bonne. Alors, prise d’une joie d’enfant à se sentir chez elle, sauvée, elle gagna rapidement sa chambre. Mais, là, devant le lit, qui n’avait pas été défait, Rachel était debout. Elle regardait le lit ; puis, elle regarda madame, avec son visage muet. Dans le premier saisissement, la jeune femme perdit la tête jusqu’à s’excuser, à parler d’une indisposition de sa sœur. Elle balbutiait, et tout d’un coup, effrayée de la pauvreté de son mensonge, comprenant bien que c’était fini, elle fondit en larmes. Tombée sur une chaise, elle pleurait, elle pleurait.

Cela dura une grande minute. Pas un mot ne fut échangé ; seuls, les sanglots troublaient le calme profond de la chambre. Rachel, exagérant sa discrétion, gardant son air froid de fille qui sait tout, mais qui ne lâche rien, avait tourné le dos et affectait de rouler les oreillers, comme si elle achevait de faire le lit. Enfin, lorsque madame, de plus en plus bouleversée par ce silence, montra un désespoir trop bruyant, la bonne, en train d’essuyer, dit simplement d’une voix respectueuse :

— Madame a bien tort de se gêner, monsieur n’est pas si bon.

Berthe cessa de pleurer. Elle paierait cette fille, voilà tout. Sans attendre, elle lui donna vingt francs. Puis, cela lui parut mesquin ; et, inquiète déjà, ayant cru lui voir pincer les lèvres d’un air dédaigneux, elle la rejoignit dans la cuisine, la ramena pour lui faire cadeau d’une robe presque neuve.

Au même instant, Octave, de son côté, était repris de terreur, à propos de M. Gourd. Comme il sortait de