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POT-BOUILLE

d’un coup, la porte eut un craquement, la gâche sauta, et Auguste, emporté par son élan, vint rouler au milieu de la chambre.

— Nom de Dieu ! jura-t-il.

Il tenait simplement une clef, et son poing saignait, meurtri dans sa chute. Quand il se releva, livide, pris de honte et de rage à l’idée de cette entrée ridicule, il battit l’air de ses bras, il voulut s’élancer sur Octave. Mais celui-ci, malgré sa gêne de se trouver ainsi en pantalon boutonné de travers, pieds nus, lui avait saisi les poignets et le maintenait, plus vigoureux que lui, criant :

— Monsieur, vous violez mon domicile… C’est indigne, on se conduit en galant homme.

Et il faillit le battre. Pendant leur courte lutte, Berthe s’était enfuie en chemise par la porte restée grande ouverte ; elle voyait, au poing sanglant de son mari, luire un couteau de cuisine, et elle avait le froid de ce couteau entre les épaules. Comme elle galopait dans le noir du corridor, elle crut entendre un bruit de gifles, sans pouvoir comprendre qui les avait données ni qui les avait reçues. Des voix, qu’elle ne reconnaissait même plus, disaient :

— À vos ordres. Quand il vous plaira.

— C’est bien, vous aurez de mes nouvelles.

D’un bond, elle gagna l’escalier de service. Mais, lorsqu’elle eut descendu les deux étages, comme poursuivie par les flammes d’un incendie, elle se trouva devant la porte de sa cuisine, fermée, et dont elle avait laissé la clef là-haut, dans la poche de son peignoir. D’ailleurs, pas de lampe, pas un filet de lumière sous cette porte : c’était la bonne évidemment qui les avait vendus. Sans reprendre haleine, elle remonta en courant, passa de nouveau devant le corridor d’Octave, où les voix des deux hommes continuaient, violemment.