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LES ROUGON-MACQUART

Ils se secouaient encore, elle aurait le temps peut-être. Et elle descendit rapidement le grand escalier, avec l’espoir que son mari avait laissé la porte de l’appartement ouverte. Elle se verrouillerait dans sa chambre, elle n’ouvrirait à personne. Mais là, pour la seconde fois, elle se heurta contre une porte fermée. Alors, chassée de chez elle, sans vêtement, elle perdit la tête, elle battit les étages, pareille à une bête traquée, qui ne sait où aller se terrer. Jamais elle n’oserait frapper chez ses parents. Un moment, elle voulut se réfugier chez les concierges ; mais la honte la fit remonter. Elle écoutait, levait la tête, se penchait sur la rampe, les oreilles assourdies par les battements de son cœur, dans le grand silence, les yeux aveuglés de lueurs, qui lui semblaient jaillir de l’obscurité profonde. Et c’était toujours le couteau, le couteau au poing saignant d’Auguste, dont la pointe glacée allait l’atteindre. Brusquement, il y eut un bruit, elle s’imagina qu’il arrivait, elle en éprouva un frisson mortel, jusqu’aux os ; et, comme elle se trouvait devant la porte des Campardon, elle sonna, éperdument, furieusement, à casser le timbre.

— Mon Dieu ! est-ce qu’il y a le feu ? dit à l’intérieur une voix troublée.

La porte s’ouvrit tout de suite. C’était Lisa qui sortait seulement de chez mademoiselle, en étouffant ses pas, un bougeoir à la main. La sonnerie enragée du timbre l’avait fait sauter, au moment où elle traversait l’antichambre. Quand elle aperçut Berthe en chemise, elle resta stupéfaite.

— Quoi donc ? dit-elle.

La jeune femme était entrée, en repoussant violemment la porte ; et, haletante, adossée, elle bégayait :

— Chut ! taisez-vous !… Il veut me tuer.

Lisa ne pouvait en tirer une explication raisonnable,