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POT-BOUILLE

Le fou avait ses yeux flambants, ses dents blanches de loup affamé. Il vint droit au mari, serrant les poings.

— Où est-elle ?… Si tu la touches, je te saigne comme un cochon !

Auguste recula, exaspéré.

— À celui-ci, maintenant !

— Tais-toi, ou je te saigne ! répéta Saturnin, qui voulut se jeter sur lui.

Alors, le mari préféra lui céder la place. Il avait une horreur des fous ; on ne pouvait raisonner, avec ces gens-là. Mais, comme il sortait sous la voûte, en criant au garçon de l’enfermer dans le sous-sol, il se trouva face à face avec Valérie et Théophile. Ce dernier, très enrhumé, enveloppé d’un cache-nez rouge, toussait en geignant. Tous deux devaient savoir, car ils s’arrêtèrent devant Auguste d’un air de condoléances. Depuis la querelle de la succession, les ménages ne se parlaient plus, brouillés à mort.

— Tu as toujours un frère, dit Théophile, qui lui serra la main, quand il eut fini de tousser. Je veux que tu t’en souviennes, dans le malheur.

— Oui, ajouta Valérie, cela devrait me venger, car elle m’en a dit de propres, n’est-ce pas ? mais nous vous plaignons tout de même, parce que nous avons du cœur, nous autres.

Auguste, très touché de leur gentillesse, les conduisit au fond du magasin, en surveillant du coin de l’œil Saturnin qui rôdait. Et là, il y eut une réconciliation complète. On ne nomma pas Berthe ; seulement, Valérie laissa entendre que toute la zizanie venait de cette femme, car il n’y avait jamais eu un mot désagréable dans la famille, avant qu’elle y fût entrée pour la déshonorer. Auguste, les yeux baissés, écoutait, approuvait de la tête. Et une gaieté perçait sous la commisération de Théophile, enchanté de n’être plus