Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LES ROUGON-MACQUART

Il y eut un nouveau silence. La petite lampe pâlissait, des bandes volaient sous les gestes fiévreux de M. Josserand ; et il regardait sa femme en face, sa femme décolletée, décidé à tout dire et frémissant de son courage.

— Avec huit mille francs, on peut faire beaucoup de choses, reprit-il. Vous vous plaignez toujours. Mais il fallait ne pas mettre la maison sur un pied supérieur à notre fortune. C’est votre maladie de recevoir et de rendre des visites, de prendre un jour, de donner du thé et des gâteaux…

Elle ne le laissa pas achever.

— Nous y voilà ! Enfermez-moi tout de suite dans une boîte. Reprochez-moi de ne pas sortir nue comme la main… Et vos filles, monsieur, qui épouseront-elles, si nous ne voyons personne ? Il n’y a pas foule déjà… Sacrifiez-vous donc, pour qu’on vous juge ensuite avec cette bassesse de cœur !

— Tous, madame, nous nous sommes sacrifiés. Léon a dû s’effacer devant ses sœurs ; et il a quitté la maison, ne comptant plus que sur lui-même. Quant à Saturnin, le pauvre enfant, il ne sait pas même lire… Moi, je me prive de tout, je passe les nuits…

— Pourquoi avez-vous fait des filles, monsieur ?… Vous n’allez peut-être pas leur reprocher leur instruction ? À votre place, un autre homme se glorifierait du brevet de capacité d’Hortense et des talents de Berthe, qui a encore ravi tout le monde, ce soir, avec sa valse des Bords de l’Oise, et dont la dernière peinture, certainement, enchantera demain nos invités… Mais vous, monsieur, vous n’êtes pas même un père, vous auriez envoyé vos enfants garder les vaches, au lieu de les mettre en pension.

— Eh ! j’avais pris une assurance sur la tête de Berthe. N’est-ce pas vous, madame, qui, au quatrième