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POT-BOUILLE

non, je ne savais pas que ça vous causerait tant de peine.

Elle n’avait pas l’air de savoir, en effet. Elle gardait ses yeux ingénus, son odeur de chasteté, la naïveté d’une petite fille incapable encore de distinguer un monsieur d’une dame. La tante Menu, d’ailleurs, jurait qu’au fond elle était innocente.

— Calmez-vous, monsieur Narcisse. Elle vous aime bien tout de même… Moi, je sentais que ça ne vous serait guère agréable. Je lui ai dit : « Si monsieur Narcisse l’apprend, il sera contrarié. » Mais ça n’a pas vécu, n’est-ce pas ? Ça ignore ce qui fait plaisir et ce qui ne fait pas plaisir… Ne pleurez donc plus, puisque son cœur est toujours pour vous.

Comme ni la petite ni l’oncle ne l’écoutaient, elle se tourna vers Auguste, elle lui dit à quel point une pareille histoire l’inquiétait pour l’avenir de sa nièce. C’était si difficile de caser une jeune fille, d’une façon convenable ! Elle, qui avait travaillé trente ans chez messieurs Mardienne frères, les brodeurs de la rue Saint-Sulpice, où l’on pouvait demander des renseignements, savait au prix de quelles privations une ouvrière, à Paris, joignait les deux bouts, quand elle voulait rester honnête. Malgré son bon cœur, bien qu’elle eût reçu Fanny des mains de son propre frère, le capitaine Menu, à son lit de mort, elle ne serait jamais arrivée à entretenir la petite avec les mille francs de rente viagère, qui lui permettaient maintenant de lâcher l’aiguille. Aussi avait-elle espéré mourir tranquille, en la voyant avec monsieur Narcisse. Et pas du tout, voilà que Fifi mécontentait son oncle, pour des bêtises !

— Vous connaissez peut-être Villeneuve, près de Lille, dit-elle en finissant. J’en suis. C’est un bourg assez considérable…

Mais Auguste perdait patience. Il lâcha la tante, il se