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LES ROUGON-MACQUART

Auguste, effaré, se trouva dans une étroite pièce donnant sur la cour, ayant la propreté et le calme profond d’un intérieur de province. On y sentait le travail, l’ordre, la pureté d’une existence heureuse de petites gens. Devant un métier à broder, où une étole de prêtre était tendue, une jeune fille blonde, jolie, l’air candide, pleurait à chaudes larmes ; tandis que l’oncle Bachelard, debout, le nez enflammé, les yeux saignants, bavait de colère et de désespoir. Il était si bouleversé, que l’entrée d’Auguste ne parut pas le surprendre immédiatement, il le prit à témoin, et la scène continua.

— Voyons, vous, monsieur Vabre, qui êtes un honnête homme, qu’est-ce que vous diriez à ma place ?… J’arrive ici, ce matin, plus tôt que de coutume ; j’entre dans sa chambre avec mon sucre du café et trois pièces de quatre sous, pour lui faire une surprise ; et je la trouve couchée avec ce cochon de Gueulin !… Non, là, franchement, qu’est-ce que vous diriez ?

Auguste, plein d’embarras, devint très rouge. Il avait d’abord cru que l’oncle connaissait son infortune et se fichait de lui. Mais ce dernier ajoutait, sans même attendre une réponse :

— Ah ! tenez, mademoiselle, vous ne vous doutez pas de ce que vous avez fait ! Moi qui redevenais jeune, qui étais si heureux d’avoir trouvé un coin gentil, où je me reprenais à croire au bonheur !… Oui, vous étiez un ange, une fleur, enfin quelque chose de frais qui me consolait d’un tas de sales femmes… Et voilà que vous couchez avec ce cochon de Gueulin !

Une émotion vraie l’étreignait à la gorge, sa voix se brisait dans des accents de profonde douleur. Tout croulait, et il pleurait la perte de l’idéal, avec les hoquets d’un reste d’ivresse.

— Je ne savais pas, mon oncle, bégaya Fifi, dont les sanglots redoublaient devant ce spectacle pitoyable ;