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LES ROUGON-MACQUART

— Ah ! c’est vrai, je ne pensais plus… Mon histoire ne vous semble pas drôle.

Un silence régna, le fiacre se balançait mélancoliquement. Auguste, dont la flamme s’éteignait à chaque tour de roue, s’abandonnait aux cahots, la mine terreuse, l’œil gauche barré de migraine. Pourquoi donc Bachelard trouvait-il le duel indispensable ? ce n’était pas son rôle, de pousser au sang, lui l’oncle de la coupable. Et Auguste avait dans l’oreille la phrase de son frère : « C’est bête, tu vas te faire embrocher », une phrase importune et entêtée, qui finissait par être comme la douleur même de sa névralgie. Pour sûr, il serait tué, il en avait le pressentiment : cela l’anéantissait dans un attendrissement lugubre. Il se voyait mort, il pleurait sur lui.

— Je vous ai dit rue Saint-Lazare, cria l’oncle au cocher. Ce n’est pas à Chaillot. Tournez donc à gauche.

Enfin, le fiacre s’arrêta. Pour plus de prudence, ils firent demander Trublot, qui descendit nu-tête causer avec eux sous la porte cochère.

— Vous savez l’adresse de Clarisse ? lui demanda Bachelard.

— L’adresse de Clarisse… Parbleu ! rue d’Assas.

Ils le remerciaient, ils allaient remonter en voiture, quand Auguste dit à son tour :

— Et le numéro ?

— Le numéro… Ah ! le numéro, je ne le sais pas.

Du coup, le mari déclara qu’il aimait mieux y renoncer. Trublot faisait des efforts pour se souvenir ; il y avait dîné une fois, là-bas, derrière le Luxembourg ; mais il ne pouvait se rappeler si ça se trouvait dans le bout de la rue, à droite ou à gauche. Ce qu’il connaissait bien, c’était la porte ; oh ! il aurait dit tout de suite : « La voilà ! » Alors, l’oncle eut encore une idée : il le pria de les accompagner, malgré les protes-