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LES ROUGON-MACQUART

d’un vieux châle, prêté par Marie. Est-ce que ce pauvre Auguste est tombé malade à Lyon ?

Mais Berthe ne voulait pas répondre. Non, plus tard : c’étaient des choses qu’elle ne pouvait dire ; et elle suppliait Hortense de s’en aller, de lui abandonner la chambre, où du moins elle pleurerait en paix. La journée se passa de la sorte. M. Josserand était parti à son bureau, sans se douter de rien ; puis, quand il revint le soir, Berthe demeura cachée encore. Comme elle avait refusé toute nourriture, elle finit par manger avidement le petit dîner qu’Adèle lui servit en secret. La bonne était restée à la regarder, et devant son appétit :

— Ne vous faites donc pas de bile, prenez des forces… Allez, la maison est bien calme. Tant que de tués et de blessés, il n’y a personne de mort.

— Ah ! dit la jeune femme.

Elle interrogea Adèle, qui, longuement, conta la journée entière, le duel manqué, ce qu’avait dit monsieur Auguste, ce qu’avaient fait les Duveyrier et les Vabre. Elle l’écoutait, elle se sentait renaître, dévorant, redemandant du pain. En vérité, elle était trop bête de tant se chagriner, lorsque les autres paraissaient consolés déjà !

Aussi, vers dix heures, comme Hortense venait la rejoindre, l’accueillit-elle gaiement, les yeux secs. Et, étouffant leurs rires, elles s’amusèrent, quand elle voulut essayer un peignoir de sa sœur, qui lui était trop étroit : sa gorge, que le mariage avait gonflée, crevait l’étoffe. N’importe, en tirant sur les boutons, elle le mettrait le lendemain. Toutes deux se croyaient revenues à leur jeunesse, au fond de cette chambre, où elles avaient vécu des années côte à côte. Cela les attendrissait et les rapprochait, dans une affection qu’elles n’éprouvaient plus depuis longtemps. Elles