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LES ROUGON-MACQUART

d’avoir trop parlé, exaspérée de cette borne tombée dans son salon, et qu’elle n’osait pourtant pousser dehors, finit par la laisser seule. D’ailleurs, un bruit venu de la salle à manger l’inquiétait : elle croyait reconnaître la voix d’Auguste.

— Parole d’honneur ! madame, on n’a jamais vu ça ! dit-elle en refermant violemment la porte. C’est de la dernière indiscrétion !

En effet, Auguste était monté pour avoir avec les parents de sa femme l’explication dont il méditait les termes depuis la veille. M. Josserand, de plus en plus gaillard, et détourné décidément du bureau par une pensée de débauche, proposait une promenade à ses filles, lorsque Adèle vint annoncer le mari de madame Berthe. Ce fut un effarement. La jeune femme avait pâli.

— Comment ! ton mari ? dit le père. Mais il était à Lyon !… Ah ! vous mentiez ! Il y a un malheur, voilà deux jours que je le sens.

Et, comme elle se levait, il la retint.

— Parle, vous vous êtes encore disputés ? pour l’argent, n’est-ce pas ? Hein ? peut-être à cause de la dot, des dix mille francs que nous ne lui avons pas payés ?

— Oui, oui, c’est ça, balbutia Berthe, qui se dégagea et qui s’enfuit.

Hortense, elle aussi, s’était levée. Elle rejoignit sa sœur en courant, toutes deux se réfugièrent dans sa chambre. Leurs jupons envolés avaient laissé un frisson de panique, le père se trouva brusquement seul devant la table, au milieu de la salle à manger silencieuse. Tout son malaise lui remontait au visage, une pâleur terreuse, une lassitude désespérée de la vie. L’heure qu’il redoutait, qu’il attendait avec une honte pleine d’angoisse, était arrivée : son gendre allait parler de l’as-