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LES ROUGON-MACQUART

— Maintenant que ce grossier est parti, dit madame Josserand, on peut s’entendre… Ah ! monsieur, voilà les résultats de votre incapacité. Reconnaissez-vous enfin vos torts ? croyez-vous qu’on viendrait chercher des querelles pareilles à un des frères Bernheim, à un propriétaire de la cristallerie Saint-Joseph ? Non, n’est-ce pas ? Si vous m’aviez écoutée, si vous aviez mis vos patrons dans votre poche, ce grossier serait à nos genoux, car il ne demande évidemment que de l’argent… Ayez de l’argent et vous serez considéré, monsieur. Il vaut mieux faire envie que pitié. Quand j’ai eu vingt sous, j’ai toujours dit que j’en avais quarante… Mais vous, monsieur, vous vous fichez que j’aille les pieds nus, vous avez trompé indignement votre femme et vos filles, en les traînant dans une vie de meurt-de-faim. Oh ! ne protestez pas, tous nos malheurs viennent de là !

M. Josserand, les regards éteints, n’avait pas même fait un mouvement. Elle s’était arrêtée devant lui, avec le besoin enragé d’une scène ; puis, le voyant immobile, elle reprit sa marche.

— Oui, oui, jouez le dédain. Vous savez que ça ne m’émeut guère… Et nous verrons si vous osez encore dire du mal de ma famille, après tout ce qui se passe dans la vôtre. Mais l’oncle Bachelard est un aigle ! mais ma sœur est très polie ! Tenez, voulez-vous connaître mon opinion ? eh bien ! mon père ne serait pas mort, que vous l’auriez tué… Quant au vôtre, de père…

La pâleur de M. Josserand augmentait. Il murmura :

— Je t’en supplie, Éléonore… Je t’abandonne mon père, je t’abandonne toute ma famille… Seulement, je t’en supplie, laisse-moi. Je ne me sens pas bien.

Berthe, apitoyée, avait levé la tête.

— Maman, laisse-le, dit-elle.