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POT-BOUILLE

Berthe, qui aurait embrassé Auguste tout de même, restait gauche, étranglée dans son peignoir, en le voyant se reculer d’un air de répugnance tragique.

— Comment ! tu refuses, ma mignonne ? continuait le père. Tu dois faire le premier pas… Et vous, mon cher garçon, encouragez-la, soyez indulgent.

Le mari enfin éclata.

— L’encourager, ah bien !… Je l’ai trouvée en chemise, monsieur ! et avec cet homme ! Vous moquez-vous de moi, de vouloir que je l’embrasse !… En chemise, monsieur !

M. Josserand restait béant. Puis, il saisit le bras de Berthe.

— Tu ne dis rien, c’est donc vrai ?… À genoux, alors !

Mais Auguste avait gagné la porte. Il se sauvait.

— Inutile ! ça ne prend plus, vos comédies !… N’essayez pas de me la coller encore sur les épaules, c’est trop d’une fois. Entendez-vous, jamais ! j’aimerais mieux plaider. Passez-la à un autre, si elle vous embarrasse. Et, d’ailleurs, vous ne valez pas mieux qu’elle !

Il attendit d’être dans l’antichambre, il se soulagea de ce dernier cri :

— Oui, quand on a fait une garce de sa fille, on ne la fourre pas à un honnête homme !

La porte de l’escalier battit, un profond silence régna. Berthe, machinalement, avait repris sa place devant la table, baissant les yeux, regardant un reste de café, au fond de son bol ; tandis que sa mère marchait à grands pas, emportée dans la tempête de ses grosses émotions. Le père, épuisé, avec un visage blême d’agonie, s’était assis tout seul, à l’autre bout de la pièce, contre un mur. Une odeur de beurre rance, du beurre de mauvaise qualité acheté exprès aux Halles, empoisonnait la pièce.