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LES ROUGON-MACQUART

— Mais, maman, il me tenait…

— Après ?… Il vous tenait, la belle affaire ! Mettez-donc ces cruches-là en pension ! Qu’est-ce qu’on vous apprend, dites !

Un flot de sang avait envahi les épaules et les joues de la jeune fille. Des larmes lui montaient aux yeux, dans une confusion de vierge violentée.

— Ce n’est pas ma faute, il avait l’air si méchant… Moi, j’ignore ce qu’il faut faire.

— Ce qu’il faut faire ! elle demande ce qu’il faut faire !… Eh ! ne vous ai-je pas dit cent fois le ridicule de vos effarouchements. Vous êtes appelée à vivre dans le monde. Quand un homme est brutal, c’est qu’il vous aime, et il y a toujours moyen de le remettre à sa place d’une façon gentille… Pour un baiser, derrière une porte ! en vérité, est-ce que vous devriez nous parler de ça, à nous, vos parents ? Et vous poussez les gens contre un meuble, et vous ratez des mariages !

Elle prit un air doctoral, elle continua :

— C’est fini, je désespère, vous êtes stupide, ma fille… Il faudrait tout vous seriner, et cela devient gênant. Puisque vous n’avez pas de fortune, comprenez donc que vous devez prendre les hommes par autre chose. On est aimable, on a des yeux tendres, on oublie sa main, on permet les enfantillages, sans en avoir l’air ; enfin, on pêche un mari… Si vous croyez que ça vous arrange les yeux, de pleurer comme une bête !

Berthe sanglotait.

— Vous m’agacez, ne pleurez donc plus… Monsieur Josserand, ordonnez donc à votre fille de ne pas s’abîmer le visage à pleurer ainsi. Ce sera le comble, si elle devient laide !

— Mon enfant, dit le père, sois raisonnable, écoute ta mère qui est de bon conseil. Il ne faut pas t’enlaidir, ma chérie.