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POT-BOUILLE

— Et ce qui m’irrite, c’est qu’elle n’est pas trop mal, quand elle veut, reprit madame Josserand. Voyons, essuie tes yeux, regarde-moi comme si j’étais un monsieur en train de te faire la cour… Tu souris, tu laisses tomber ton éventail, pour que le monsieur, en le ramassant, effleure tes doigts… Ce n’est pas ça. Tu te rengorges, tu as l’air d’une poule malade… Renverse donc la tête, dégage ton cou : il est assez jeune pour que tu le montres.

— Alors, comme ça, maman ?

— Oui, c’est mieux… Et ne sois pas raide, aie la taille souple. Les hommes n’aiment pas les planches… Surtout, s’ils vont trop loin, ne fais pas la niaise. Un homme qui va trop loin, est flambé, ma chère.

Deux heures sonnaient à la pendule du salon ; et, dans l’excitation de cette veille prolongée, dans son désir devenu furieux d’un mariage immédiat, la mère s’oubliait à penser tout haut, tournant et retournant sa fille comme une poupée de carton. Celle-ci, molle, sans volonté, s’abandonnait ; mais elle avait le cœur très gros, une peur et une honte la serraient à la gorge. Brusquement, au milieu d’un rire perlé que sa mère la forçait à essayer, elle éclata en sanglots, le visage bouleversé, balbutiant :

— Non ! non ! ça me fait de la peine !

Madame Josserand demeura une seconde outrée et stupéfaite. Depuis sa sortie de chez les Dambreville, sa main était chaude, il y avait des claques dans l’air. Alors, à toute volée, elle gifla Berthe.

— Tiens ! tu m’embêtes à la fin !… Quel pot ! Ma parole, les hommes ont raison !

Dans la secousse, son Lamartine, qu’elle ne lâchait pas, était tombé. Elle le ramassa, l’essuya, et sans ajouter une parole, traînant royalement sa robe de bal, elle passa dans la chambre à coucher.