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LES ROUGON-MACQUART

— Ça devait finir par là, murmura M. Josserand, qui n’osa pas retenir sa fille, partie, elle aussi, en se tenant la joue et en pleurant plus fort.

Mais, comme Berthe traversait l’antichambre à tâtons, elle trouva levé son frère Saturnin, qui écoutait, pieds nus. Saturnin était un grand garçon de vingt-cinq ans, dégingandé, aux yeux étranges, resté enfant à la suite d’une fièvre cérébrale. Sans être fou, il terrifiait la maison par des crises de violence aveugle, lorsqu’on le contrariait. Seule, Berthe le domptait d’un regard. Il l’avait soignée, gamine encore, pendant une longue maladie, obéissant comme un chien à ses caprices de petite fille souffrante ; et, depuis qu’il l’avait sauvée, il s’était pris pour elle d’une adoration où il entrait de tous les amours.

— Elle t’a encore battue ? demanda-t-il d’une voix basse et ardente.

Berthe, inquiète de le rencontrer là, essaya de le renvoyer.

— Va te coucher, ça ne te regarde pas.

— Si, ça me regarde. Je ne veux pas qu’elle te batte, moi !… Elle m’a réveillé, tant elle criait… Qu’elle ne recommence pas, ou je cogne !

Alors, elle lui saisit les poignets et lui parla comme à une bête révoltée. Il se soumit tout de suite, il bégaya avec des larmes de petit garçon :

— Ça te fait bien du mal, n’est-ce pas ?… Où est ton mal, que je le baise ?

Et, ayant trouvé sa joue, dans l’obscurité, il la baisa, il la mouilla de ses pleurs, en répétant :

— C’est guéri, c’est guéri.

Cependant, M. Josserand, resté seul, avait laissé tomber sa plume, le cœur trop gonflé de chagrin. Au bout de quelques minutes, il se leva pour aller doucement écouter aux portes. Madame Josserand ronflait. Dans la