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POT-BOUILLE

ralluma la bougie, se mit à tourner autour de sa chambre. Sa langue se desséchait, une soif ardente la tourmentait, tandis que des plaques rouges lui brûlaient les joues. Quand une contraction la pliait brusquement, elle s’appuyait contre le mur, saisissait le bois d’un meuble. Et les heures passaient dans ce piétinement cruel, sans qu’elle osât même se chausser, de peur de faire du bruit, garantie seulement du froid par un vieux châle jeté sur ses épaules. Deux heures sonnèrent, puis trois heures.

— Il n’y a pas de bon Dieu ! se disait-elle tout bas, avec un besoin de se parler et de s’entendre. C’est trop long, ça ne finira jamais.

Pourtant, le travail de préparation s’avançait, la pesanteur descendait dans ses fesses et dans ses cuisses. Même lorsque son ventre la laissait un peu respirer, elle souffrait là, sans arrêt, d’une souffrance fixe et têtue. Et, pour se soulager, elle s’était empoigné les fesses à pleines mains, elle se les soutenait, pendant qu’elle continuait à marcher en se dandinant, les jambes nues, couvertes jusqu’aux genoux de ses gros bas. Non, il n’y avait pas de bon Dieu ! Sa dévotion se révoltait, sa résignation de bête de somme qui lui avait fait accepter sa grossesse comme une corvée de plus, finissait par lui échapper. Ce n’était donc pas assez de ne jamais manger à sa faim, d’être le souillon sale et gauche, sur lequel la maison entière tapait : il fallait que les maîtres lui fissent un enfant ! Ah ! les salauds ! Elle n’aurait pu dire seulement si c’était du jeune ou du vieux, car le vieux l’avait encore assommée, après le mardi gras. L’un et l’autre, d’ailleurs, s’en fichaient pas mal, maintenant qu’ils avaient eu le plaisir et qu’elle avait la peine ! Elle devrait aller accoucher sur leur paillasson, pour voir leur tête. Mais sa terreur la reprenait : on la jetterait en prison, il valait mieux