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LES ROUGON-MACQUART

avait encore la colère jalouse du commerçant ruiné par une concurrence triomphante ; car le Bonheur des Dames, en s’agrandissant et en créant un rayon spécial de soierie, avait tellement épuisé ses ressources, qu’il s’était vu obligé de prendre un associé. Il s’approcha, et pendant qu’on fêtait madame Mouret, il dit à l’oreille de Clotilde :

— Tu sais que je ne tolérerai jamais ça.

— Quoi donc ? demanda-t-elle, pleine de surprise.

— La femme, passe encore ! elle ne m’a rien fait… Mais si le mari vient, j’empoigne Berthe par le bras et je sors devant le monde.

Elle le regarda, puis haussa les épaules. Caroline était son amie la plus ancienne, bien sûr qu’elle n’allait pas renoncer à la voir, pour le contenter dans ses caprices. Est-ce qu’on se rappelait seulement cette affaire ? Il ferait mieux de ne plus remuer des choses auxquelles il était le seul à songer encore. Et, comme très ému, il cherchait un appui auprès de Berthe, comptant qu’elle se lèverait et le suivrait aussitôt, celle-ci le rappela au calme d’un froncement de sourcils : devenait-il fou ? voulait-il donc se rendre plus ridicule qu’il ne l’avait jamais été ?

— Mais c’est pour ne pas l’être, ridicule ! dit-il avec désespoir.

Alors, madame Josserand se pencha, et d’une voix sévère :

— Ça devient indécent, on vous regarde. Soyez donc convenable une fois.

Il se tut, sans se soumettre. Dès ce moment, une gêne régna parmi ces dames. Seule, madame Mouret, assise enfin devant Berthe, à côté de Clotilde, gardait sa tranquillité souriante. On guettait Auguste, qui avait disparu dans l’embrasure de la fenêtre où s’était fait son mariage, autrefois. La colère lui donnait un commence-