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LES ROUGON-MACQUART

exemple, si elle gardait son torchon d’Adèle malgré sa crasse et sa bêtise, c’était à cause de l’honnêteté profonde de cette cruche-là. Oh ! sur ce chapitre, rien à lui reprocher !

— Pauvre Adèle ! quand on pense ! murmura Trublot, repris d’attendrissement au souvenir de la malheureuse, glacée là-haut sous sa mince couverture.

Puis, penché à l’oreille d’Octave, il ajouta en ricanant :

— Dites donc, Duveyrier pourrait au moins lui monter une bouteille de bordeaux !

— Oui, messieurs, continuait le conseiller, les tables de statistique sont là, les infanticides augmentent dans des proportions effrayantes… Vous donnez trop de place aujourd’hui aux raisons de sentiment, vous abusez surtout beaucoup trop de la science, de votre prétendue physiologie, avec laquelle il n’y aura bientôt plus de bien ni de mal… On ne guérit pas la débauche, on la coupe dans sa racine.

Cette réfutation s’adressait au docteur Juillerat, qui avait voulu expliquer médicalement le cas de la piqueuse de bottines.

Du reste, ces messieurs se montraient, eux aussi, pleins de dégoût et de sévérité : Campardon ne comprenait pas le vice, l’oncle Bachelard défendait l’enfance, Théophile demandait une enquête, Léon considérait la prostitution dans ses rapports avec l’État ; pendant que Trublot, sur une question d’Octave, lui parlait de la nouvelle maîtresse de Duveyrier, cette fois une femme très bien, un peu mûre, mais romanesque, l’âme élargie par cet idéal dont le conseiller avait besoin pour épurer l’amour, enfin une personne recommandable qui rendait la paix à son ménage, en l’exploitant et en couchant avec ses amis, sans fracas inutile. Et, seul, l’abbé Mauduit se taisait, les yeux à terre, l’âme troublée, dans une grande tristesse.