habitait avec lui un hôtel de la rue Garancière, qu’elle ne quittait guère que pour assister aux messes basses de Saint-Sulpice.
— Tenez, dit le colonel en baissant la voix, voilà la femme qu’il faudrait à Rougon.
— Parfaitement, approuva M. Bouchard. Fortune convenable, bonne famille, femme d’ordre et d’expérience. Il ne trouvera pas mieux.
Mais Du Poizat se récria. La demoiselle était mûre comme une nèfle qu’on a oubliée sur de la paille. Elle avait au moins trente-six ans et elle en paraissait bien quarante. Un joli manche à balai à mettre dans un lit ! Une dévote qui portait des bandeaux plats ! une tête si usée, si fade, qu’elle semblait avoir trempé pendant six mois dans de l’eau bénite !
— Vous êtes jeune, déclara gravement le chef de bureau. Rougon doit faire un mariage de raison… Moi j’ai fait un mariage d’amour ; mais ça ne réussit pas à tout le monde.
— Eh ! je me moque de la fille, en somme, finit par avouer Du Poizat. C’est la mine du Beulin-d’Orchère qui me fait peur. Ce gaillard-là a une mâchoire de dogue… Regardez-le donc, avec son lourd museau et sa forêt de cheveux crépus, où pas un fil blanc ne se montre, malgré ses cinquante ans ! Est-ce qu’on sait ce qu’il pense ! Dites-moi un peu pourquoi il continue à pousser sa sœur dans les bras de Rougon, maintenant que Rougon est par terre ?
M. Bouchard et le colonel gardèrent le silence, en échangeant un regard inquiet. Le « dogue », comme l’appelait l’ancien sous-préfet, allait-il donc à lui tout seul dévorer Rougon ? Mais madame Correur dit lentement :
— C’est très-bon d’avoir la magistrature avec soi.