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LES ROUGON-MACQUART.

tant ennuyés, au milieu des poussées de la foule, qu’ils en gardaient un air de bêtise ahurie.

— J’adore l’armée française, dit Clorinde ravie, se penchant pour mieux voir.

Rougon, comme réveillé, regardait, lui aussi. C’était la force de l’empire qui passait, dans la poussière de la chaussée. Tout un embarras d’équipages encombrait lentement le pont ; mais les cochers, respectueux, attendaient ; tandis que des personnages en grand costume mettaient la tête aux portières, la face vaguement souriante, couvant de leurs yeux attendris les petits soldats hébétés par leur longue faction. Les fusils, au soleil, illuminaient la fête.

— Et ceux-là, les derniers, les voyez-vous ? reprit Clorinde. Il y en a tout un rang qui n’ont pas encore de barbe. Sont-ils gentils, hein !

Et, dans une rage de tendresse, elle envoya, du fond de la voiture, des baisers aux soldats, à deux mains. Elle se cachait un peu, pour qu’on ne la vît pas. C’était une joie, un amour de la force armée, dont elle se régalait seule. Rougon eut un sourire paternel ; il venait également de goûter sa première jouissance de la journée.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda-t-il, lorsque le coupé put enfin tourner le coin du quai.

Un rassemblement considérable s’était formé sur le trottoir et sur la chaussée. La voiture dut s’arrêter de nouveau. Une voix dit dans la foule :

— C’est un ivrogne qui a insulté les soldats. Les sergents de ville viennent de l’empoigner.

Alors, le rassemblement s’étant ouvert, Rougon aperçut Gilquin, ivre-mort, tenu au collet par deux sergents de ville. Son vêtement de coutil jaune, arraché, montrait des morceaux de sa peau. Mais il restait bon garçon, avec sa moustache pendante, dans sa face rouge. Il tu-