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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

toyait les sergents de ville, il les appelait « mes agneaux ». Et il leur expliquait qu’il avait passé l’après-midi bien tranquillement dans un café, à côté, en compagnie de gens très-riches. On pouvait se renseigner au théâtre du Palais-Royal, où M. et madame Charbonnel étaient allés voir jouer les Dragées du baptême : ils ne diraient pour sûr pas le contraire.

— Lâchez-moi donc, farceurs ! cria-t-il en se roidissant brusquement. Le café est là, à côté, tonnerre ! venez-y avec moi, si vous ne me croyez pas !… Les soldats m’ont manqué, comprenez bien ! il y en a un petit qui riait. Alors, je l’ai envoyé se faire moucher. Mais insulter l’armée française, jamais !… Parlez un peu à l’empereur de Théodore, vous verrez ce qu’il dira… Ah ! sacrebleu ! vous seriez propres !

La foule, amusée, riait. Les deux sergents de ville, imperturbables, ne lâchaient pas prise, poussaient lentement Gilquin vers la rue Saint-Martin, dans laquelle on apercevait, au loin, la lanterne rouge d’un poste de police. Rougon s’était vivement rejeté au fond de la voiture. Mais, tout d’un coup, Gilquin le vit, en levant la tête. Alors, dans son ivresse, il devint goguenard et prudent. Il le regarda, clignant de l’œil, parlant pour lui.

— Suffit ! les enfants, on pourrait faire du scandale, on n’en fera pas, parce qu’on a de la dignité… Hein ? dites donc ? vous ne mettriez pas la patte sur Théodore, s’il se trimbalait avec des princesses, comme un citoyen de ma connaissance. On a tout de même travaillé avec du beau monde, et délicatement, on s’en vante, sans demander des mille et des cents. On sait ce qu’on vaut. Ça console des petitesses… Tonnerre de Dieu ! les amis ne sont donc plus les amis ?…

Il s’attendrissait, la voix coupée de hoquets. Rougon appela discrètement de la main un homme boutonné