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LES ROUGON-MACQUART.

gon, contre toutes les convenances. Mais elle affectait de rester dans le jardin. D’ailleurs, les deux premières fois, elle était aussi en amazone, costume qui lui donnait une liberté de garçon, et dont la longue jupe devait lui sembler une protection suffisante.

— Vous savez, je viens en mendiante, reprit-elle. C’est pour des billets de loterie… Nous avons organisé une loterie en faveur des jeunes filles pauvres.

— Eh bien ! entrez, répéta Rougon. Vous m’expliquerez cela.

Elle avait gardé sa cravache à la main, une cravache très-fine, à petit manche d’argent. Elle se remit à rire, en tapant sa jupe à légers coups.

— C’est tout expliqué, pardi ! Vous allez me prendre des billets. Je ne suis venue que pour ça… Il y a trois jours que je vous cherche, sans pouvoir mettre la main sur vous, et la loterie se tire demain.

Alors, sortant un petit portefeuille de sa poche, elle demanda :

— Combien voulez-vous de billets ?

— Pas un, si vous n’entrez pas ! cria-t-il.

Il ajouta sur un ton plaisant :

— Que diable ! est-ce qu’on fait des affaires par les fenêtres ! Je ne vais peut-être pas vous passer de l’argent comme à une pauvresse !

— Ça m’est égal, donnez toujours.

Mais il tint bon. Elle le regarda un instant, muette. Puis elle reprit :

— Si j’entre, m’en prendrez-vous dix ?… Ils sont à dix francs.

Et elle ne se décida pas tout de suite. Elle promena d’abord un rapide regard dans le jardin. Un jardinier, à genoux dans une allée, plantait une corbeille de géraniums. Elle eut un mince sourire, et se dirigea vers le