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LES ROUGON-MACQUART.

sa redingote était boutonnée, perçait toutefois une prétention de haute gravité.

— À propos, reprit-il en s’adressant au maître de la maison, j’ai un document à vous signaler, pour votre grand travail, une étude sur la constitution anglaise, très-curieuse, ma foi, qui a paru dans une revue de Vienne… Et avancez-vous ?

— Oh ! lentement, répondit Rougon. J’en suis à un chapitre qui me donne beaucoup de mal.

D’ordinaire, il trouvait piquant de faire causer le jeune député. Il savait par lui tout ce qui se passait aux Tuileries. Persuadé, ce soir-là, qu’on l’envoyait pour connaître son opinion sur le triomphe des candidatures officielles, il réussit, sans hasarder une seule phrase digne d’être répétée, à tirer de lui une foule de renseignements. Il commença par le complimenter de sa réélection. Puis, de son air bonhomme, il entretint la conversation par de simples hochements de tête. L’autre, charmé de tenir la parole, ne s’arrêta plus. La cour était dans la joie. L’empereur avait appris le résultat des élections à Plombières ; on racontait qu’à la réception de la dépêche, il s’était assis, les jambes coupées par l’émotion. Cependant, une grosse inquiétude dominait toute cette victoire : Paris venait de voter en monstre d’ingratitude.

— Bah ! on musellera Paris, murmura Rougon, qui étouffa un nouveau bâillement, comme ennuyé de ne rien trouver d’intéressant, dans le flot de paroles de M. La Rouquette.

Dix heures sonnèrent. Madame Rougon, poussant un guéridon au milieu de la pièce, servit le thé. C’était l’heure où des groupes isolés se formaient dans les coins. M. Kahn, une tasse à la main, debout devant Delestang, qui ne prenait jamais de thé, parce que ça l’agitait, entrait dans de nouveaux détails sur son voyage en Vendée ;