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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

sa grande affaire de la concession d’une voie ferrée de Niort à Angers en était toujours au même point ; cette canaille de Langlade, le préfet des Deux-Sèvres, avait osé se servir de son projet comme de manœuvre électorale en faveur du nouveau candidat officiel. M. La Rouquette, maintenant, passant derrière les dames, leur glissait dans la nuque des mots qui les faisaient sourire. Derrière un rempart de fauteuils, madame Correur causait vivement avec Du Poizat ; elle lui demandait des nouvelles de son frère Martineau, le notaire de Coulonges ; et Du Poizat disait l’avoir vu, un instant, devant l’église, toujours le même, avec sa figure froide, son air grave. Puis, comme elle entamait ses récriminations habituelles, il lui conseilla méchamment de ne jamais remettre les pieds là-bas, car madame Martineau avait juré de la jeter à la porte. Madame Correur acheva son thé, toute suffoquée.

— Voyons, mes enfants, il faut aller se coucher, dit paternellement Rougon.

Il était dix heures vingt-cinq, et il accorda cinq minutes. Des gens partaient. Il accompagna M. Kahn et M. Béjuin, que madame Rougon chargeait toujours de compliments pour leurs femmes, bien qu’elle vît ces dames au plus deux fois par an. Il poussa doucement vers la porte les Charbonnel, toujours très-embarrassés pour s’en aller. Puis, comme la jolie madame Bouchard sortait entre M. d’Escorailles et M. La Rouquette, il se tourna vers la table de jeu, en criant :

— Eh ! monsieur Bouchard, voilà qu’on vous prend votre femme !

Mais le chef de bureau, sans entendre, annonçait son jeu.

— Une quinte majeure en trèfle, hein ! elle est bonne celle-là !… Trois rois, ils sont bons aussi…