avait là près de cent personnes, de hauts fonctionnaires, des généraux, des diplomates étrangers, cinq députés, trois préfets, deux peintres, un romancier, deux académiciens, sans compter les officiers du palais, chambellans, aides de camp et écuyers. Le discret murmure des voix montait dans la lumière des lustres. Les familiers du château se promenaient à petits pas, tandis que les nouveaux invités, debout, n’osaient se risquer au milieu des dames. Cette première heure de gêne, entre des personnes dont plusieurs ne se connaissaient pas, et qui se trouvaient tout d’un coup réunies à la porte de la salle à manger impériale, donnait aux visages un air de dignité maussade. Par moments, de brusques silences se faisaient, des têtes se tournaient, vaguement anxieuses. Et le mobilier empire de la vaste pièce, les consoles à pieds droits, les fauteuils carrés, semblaient augmenter encore la solennité de l’attente.
— Le voici enfin ! murmura Clorinde.
Rougon venait d’entrer. Il s’arrêta un moment à deux pas de la porte. Il avait pris son allure épaisse de bonhomme, le dos un peu gonflé, la face endormie. D’un regard, il vit le léger frisson d’hostilité que sa présence produisait, au milieu de certains groupes. Puis, tranquillement, tout en distribuant quelques poignées de main, il manœuvra de façon à se trouver en face de M. de Marsy. Ils se saluèrent, parurent charmés de se rencontrer. Et, les yeux dans les yeux, en ennemis qui ont le respect de leur force, ils causèrent amicalement. Autour d’eux, un vide s’était fait. Les dames suivaient leurs moindres gestes ; tandis que les hommes, affectant une grande discrétion, regardaient ailleurs, en glissant de leur côté des coups d’œil furtifs. Des chuchotements couraient dans les coins. Quel était donc le secret dessein de l’empereur ? pourquoi mettait-il ainsi ces deux personnages