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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Mais, comme il se penchait pour mieux voir madame de Llorentz, assise du même côté que lui, à cinq places de distance, il devint subitement grave. Cette dame, une belle blonde un peu forte, avait en ce moment un visage terrible, tout pâle d’une rage froide, avec des yeux bleus qui tournaient au noir, fixés ardemment sur M. de Marsy et sur Clorinde. Et il dit entre ses dents, si bas, que Rougon lui-même ne put comprendre :

— Diable ! ça va se gâter.

La musique jouait toujours, une musique lointaine qui semblait venir du plafond. À certains éclats des cuivres, les convives levaient la tête, cherchaient l’air dont ils étaient poursuivis. Puis, ils n’entendaient plus ; le chant léger des clarinettes, au fond de la galerie voisine, se confondait avec les bruits argentins de la vaisselle plate qu’on apportait par piles énormes. De grands plats avaient des sonneries étouffées de cymbales. Autour de la table, c’était un empressement silencieux, tout un peuple de domestiques s’agitant sans une parole, les huissiers en habit et en culotte bleu clair, avec l’épée et le tricorne, les valets de pied, cheveux poudrés, portant l’habit vert de grande livrée, galonné d’or. Les mets arrivaient, les vins circulaient, régulièrement ; tandis que les chefs de service, les contrôleurs, le premier officier tranchant, le chef de l’argenterie, debout, surveillaient cette manœuvre compliquée, cette confusion où le rôle du dernier valet était réglé à l’avance. Derrière l’empereur et l’impératrice, les valets de chambre particuliers de Leurs Majestés servaient, avec une dignité correcte.

Quand les rôtis arrivèrent et que les grands vins de Bourgogne furent versés, le tapage des voix s’éleva. Maintenant, dans le coin des hommes, au bout de la table, M. La Rouquette causait cuisine, discutant le