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LES ROUGON-MACQUART.

il revint sur le pont, à petits pas. Elle le suivait, elle répétait :

— Le jour où Martineau mourra, elle est capable de tout brûler, s’il laisse un testament… Le pauvre cher homme n’a plus que les os et la peau, Herminie lui a trouvé une bien mauvaise mine… Enfin, je suis très-tourmentée.

— On ne peut rien faire, il faut attendre, dit Rougon avec un geste vague.

Elle l’arrêta de nouveau au milieu du pont, et baissant la voix :

— Herminie m’a appris une singulière chose. Il paraît que Martineau s’est fourré dans la politique maintenant. Il est républicain. Aux dernières élections, il avait bouleversé le pays… Ça m’a porté un coup. Hein ? on pourrait l’inquiéter ?

Il y eut un silence. Elle le regardait fixement. Lui, suivit des yeux un landau qui passait, comme s’il avait voulu éviter son regard. Il reprit, d’un air innocent :

— Tranquillisez-vous. Vous avez des amis, n’est-ce pas ? Eh bien ! comptez sur eux.

— Je ne compte que sur vous, Eugène, dit-elle tendrement, très-bas.

Alors, il sembla touché. Il la regarda à son tour, en face, et il la trouva attendrissante, avec son cou gras, son masque plâtré de belle femme qui ne voulait pas vieillir. Elle était toute sa jeunesse.

— Oui, comptez sur moi, répondit-il en lui serrant les mains. Vous savez bien que j’épouse toutes vos querelles.

Il la reconduisit encore jusqu’au quai Voltaire. Quand elle l’eut quitté, il traversa enfin le pont, ralentissant sa marche, s’intéressant de nouveau aux pains de sucre qu’on déchargeait sur le port Saint-Nicolas. Il s’accouda