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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

sier énorme eut une secousse brusque, Du Poizat se dressa, pliant un journal d’un air tranquille.

— Comment ! vous étiez là, vous ! dit Rougon rudement.

— Mais sans doute, je lisais les journaux, répondit l’ancien sous-préfet, avec un sourire qui montrait ses dents blanches mal rangées. Vous le saviez bien, vous m’avez vu en entrant. 

Ce mensonge effronté coupa court à toute explication. Les deux hommes se regardèrent quelques secondes en silence. Et comme Rougon semblait le consulter, perplexe, s’approchant une seconde fois de son bureau, Du Poizat eut un petit geste qui signifiait clairement : « Attendez donc, rien ne presse, il faut voir. » Pas un mot ne fut échangé entre eux. Ils retournèrent au salon.

Ce soir-là, une telle querelle avait éclaté entre le colonel et M. Bouchard, à propos des princes d’Orléans et du comte de Chambord, qu’ils venaient de jeter les cartes, jurant de ne plus jamais jouer ensemble. Ils s’étaient assis aux deux côtés de la cheminée, les yeux gros de menaces. Quand Rougon entra, ils se réconciliaient, en faisant de lui un éloge extraordinaire.

— Oh ! je ne me gêne pas, je le dis devant lui, poursuivit le colonel. Il n’y a personne de sa taille à cette heure.

— Nous disons du mal de vous, vous entendez, reprit M. Bouchard d’un air fin.

Et la conversation continua.

— Une intelligence hors ligne !

— Un homme d’action qui a le coup d’œil des conquérants !

— Ah ! nous aurions bien besoin qu’il s’occupât un peu de nos affaires !

— Oui, le gâchis serait moins grand. Lui seul peut sauver l’empire.