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IX


Un matin de mars, au ministère de l’intérieur, Rougon était dans son cabinet, très-occupé à rédiger une circulaire confidentielle que les préfets devaient recevoir le lendemain. Il s’arrêtait, soufflait, écrasait la plume sur le papier.

— Jules, donnez-moi donc un synonyme à autorité, dit-il. C’est bête, cette langue !… Je mets autorité à toutes les lignes.

— Mais pouvoir, gouvernement, empire, répondit le jeune homme en souriant.

M. Jules d’Escorailles, qu’il avait pris pour secrétaire, dépouillait la correspondance, sur un coin du bureau. Il ouvrait soigneusement les enveloppes avec un canif, parcourait les lettres d’un coup d’œil, les classait. Devant la cheminée où brûlait un grand feu, le colonel, M. Kahn et M. Béjuin se trouvaient assis. Tous trois très à l’aise, allongés, chauffaient leurs semelles, sans dire un mot. Ils étaient chez eux. M. Kahn lisait un journal. Les deux autres, béatement renversés, tournaient leurs pouces, en regardant la flamme.

Rougon se leva, versa un verre d’eau sur une console, et le but d’un trait.

— Je ne sais ce que j’ai mangé hier, murmura-t-il. J’avalerais la Seine, ce matin.