Elle eut un geste d’insouciance.
— Oui. J’ai reçu une lettre de mon mari. Il s’ennuie à Turin. Il est très-heureux d’avoir obtenu cette mission, grâce à vous ; seulement, il ne veut pas qu’on l’oublie là-bas… Mais nous parlerons de cela tout à l’heure. Rien ne presse.
Elle se remit à fumer et à le regarder avec son irritant sourire. Rougon, peu à peu, s’était accoutumé à la voir, sans se poser les questions qui, autrefois, piquaient si vivement sa curiosité. Elle avait fini par entrer dans ses habitudes, il l’acceptait maintenant comme une figure classée, connue, dont les étrangetés ne lui causaient plus un sursaut de surprise. Mais, à la vérité, il ne savait toujours rien de précis sur elle, il l’ignorait toujours autant qu’aux premiers jours. Elle restait multiple, puérile et profonde, bête le plus souvent, singulièrement fine parfois, très-douce et très-méchante. Quand elle le surprenait encore par un geste, un mot dont il ne trouvait pas l’explication, il avait des haussements d’épaules d’homme fort, il disait que toutes les femmes étaient ainsi. Et il croyait par là témoigner un grand mépris pour les femmes, ce qui aiguisait le sourire de Clorinde, un sourire discret et cruel, montrant le bout des dents, entre les lèvres rouges.
— Qu’avez-vous donc à me regarder ? demanda-t-il enfin, gêné par ces grands yeux ouverts sur lui. Est-ce que j’ai quelque chose qui vous déplaît ?
Une pensée cachée venait de luire au fond des yeux de Clorinde, pendant que deux plis donnaient à sa bouche une grande dureté. Mais elle reprit aussitôt son rire adorable, soufflant sa fumée par minces filets, murmurant :
— Non, non, je vous trouve très-bien… Je pensais à une chose, mon cher. Savez-vous que vous avez eu une fière chance ?