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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

parler de la main de Dieu. Puis, il répondit à l’ingénieur en chef ; il ne discutait pas son discours, il n’y faisait aucune allusion ; il disait simplement le contraire de ce qu’il avait dit, insistant sur le dévouement de M. Kahn, le montrant modeste, désintéressé, grandiose. Le côté financier de l’entreprise le laissait plein de sérénité. Il souriait, il entassait d’un geste rapide des monceaux d’or. Alors, des bravos lui coupèrent la voix.

— Messieurs, un dernier mot, dit-il après s’être essuyé les lèvres avec son mouchoir.

Le dernier mot dura un quart d’heure. Il se grisait, il s’engageait plus qu’il n’aurait voulu. Même à la péroraison, comme il en était à la grandeur du règne, célébrant la haute intelligence de l’empereur, il laissa entendre que Sa Majesté patronnait d’une façon particulière l’embranchement de Niort à Angers. L’entreprise devenait une affaire d’État.

Trois salves d’applaudissements retentirent. Un vol de corbeaux, volant dans le ciel pur, à une grande hauteur, s’effaroucha, avec des croassements prolongés. Dès la dernière phrase du discours, la Société philharmonique s’était mise à jouer, sur un signal parti de la tente ; tandis que les dames, serrant leurs jupes, se relevaient vivement, désireuses de ne rien perdre du spectacle. Cependant, autour de Rougon, les invités souriaient d’un air ravi. Le maire, le procureur impérial, le colonel du 78e de ligne, hochaient la tête, en écoutant le député s’émerveiller à demi-voix, de façon à être entendu du ministre. Mais le plus enthousiaste était sûrement l’ingénieur en chef des ponts et chaussées ; il affecta une servilité extraordinaire, la bouche tordue, comme foudroyé par les magnifiques paroles du grand homme.

— Si Son Excellence veut bien me suivre, dit M. Kahn, dont la grosse face suait de joie.