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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

teuil, tordu, roidi par une attaque de paralysie. Sa femme pleurait à grosses larmes muettes.

Gilquin avait tiré sa montre.

— Tonnerre de Dieu ! cria-t-il.

Il était cinq heures et demie. Maintenant, il devait renoncer à être de retour à Niort pour le dîner de la préfecture. Avant qu’on eût mis cet homme dans une voiture, on allait perdre au moins une demi-heure. Il tâcha de se consoler en jurant bien de ne pas manquer le bal ; justement il se souvenait d’avoir retenu la femme du proviseur pour la première valse.

— C’est de la frime, lui murmura le brigadier à l’oreille. Voulez-vous que je remette le particulier sur ses pieds ?

Et, sans attendre la réponse, il s’avança, il adressa au notaire des exhortations pour l’engager à ne pas tromper la justice. Le notaire, les paupières closes, les lèvres amincies, gardait une rigidité de cadavre. Peu à peu, le brigadier se fâcha, en vint aux gros mots, finit par abattre sa lourde main de gendarme sur le collet de la robe de chambre. Mais madame Martineau, si calme jusque-là, le repoussa rudement, se planta devant son mari, en serrant ses poings de dévote résolue.

— C’est de la frime, je vous dis ! répéta le brigadier.

Gilquin haussa les épaules. Il était décidé à emmener le notaire mort ou vif.

— Que l’un de vos hommes aille chercher la voiture au Lion d’or, ordonna-t-il. J’ai prévenu l’aubergiste.

Quand le brigadier fut sorti, il s’approcha de la fenêtre, regarda complaisamment le jardin où des abricotiers étaient en fleur. Et il s’oubliait là, lorsqu’il se sentit touché à l’épaule. Madame Martineau, debout derrière lui, l’interrogea, les joues séchées, la voix raffermie :