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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

chambre au bras du domestique, en envoyant à chacun un petit salut de la main. Dans le cabinet de toilette, on entendit Flaminio jurer, parce que la lampe s’était éteinte.

Il était une heure. On parla de se retirer. Mais Clorinde assurait qu’elle n’avait pas sommeil, qu’on pouvait rester. Pourtant personne ne se rassit. La lampe du boudoir venait également de s’éteindre ; une forte odeur d’huile se répandait. On eut beaucoup de peine à retrouver de menus objets, un éventail, la canne du colonel, le chapeau de madame Bouchard. Clorinde, tranquillement allongée, empêcha madame Correur de sonner Antonia ; la femme de chambre se couchait à onze heures. Enfin, on partait, quand le colonel s’aperçut qu’il oubliait Auguste ; le jeune homme dormait sur le canapé du boudoir, la tête appuyée sur une robe roulée en tampon ; on le gronda de n’avoir pas remonté la lampe. Dans l’ombre de l’escalier, où le gaz baissé agonisait, madame Bouchard eut un léger cri ; son pied avait tourné, disait-elle. Et, comme tout ce monde descendait prudemment le long de la rampe, de grands rires vinrent de la chambre de Clorinde, où Pozzo s’était attardé ; sans doute elle lui soufflait dans le cou.

Chaque jeudi et chaque dimanche, les soirées se ressemblaient. Au dehors, le bruit courait que madame Delestang avait un salon politique. On s’y montrait très-libéral, on y battait en brèche l’administration autoritaire de Rougon. Toute la bande était passée au rêve d’un empire humanitaire, élargissant peu à peu et à l’infini le cercle des libertés publiques. Le colonel, à ses moments perdus, rédigeait des statuts pour des associations d’ouvriers ; M. Béjuin parlait de créer une cité, autour de sa cristallerie de Saint-Florent ; M. Kahn, pendant des heures, entretenait Delestang du rôle démocratique