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LES ROUGON-MACQUART

— La situation de ministre de l’agriculture et du commerce est tout à fait secondaire, fit remarquer M. Kahn, afin de brusquer les choses.

C’était toucher à une plaie vive. Clorinde souffrait de voir son mari parqué dans ce qu’elle appelait « un petit ministère ». Elle s’assit brusquement sur son séant, en lâchant le mot attendu :

— Eh ! il sera à l’Intérieur quand nous voudrons !

Delestang voulut parler. Mais tous s’étaient précipités, l’entourant d’un brouhaha de ravissement. Alors, lui, sembla se déclarer vaincu. Peu à peu, une teinte rosée montait à ses joues, une jouissance noyait sa face superbe. Madame Correur et madame Bouchard, à demi-voix, le trouvaient beau ; la seconde surtout, avec le goût pervers des femmes pour les hommes chauves, regardait passionnément son crâne nu. M. Kahn, le colonel et les autres, avaient des coups d’œil, de petits gestes, des mots rapides, pour dire le cas énorme qu’ils faisaient de sa force. Ils s’aplatissaient devant le plus sot de la bande, ils s’admiraient en lui. Ce maître-là, au moins, serait docile et ne les compromettrait pas. Ils pouvaient impunément le prendre pour dieu, sans craindre sa foudre.

— Vous le fatiguez , fit remarquer la jolie madame Bouchard de sa voix tendre.

On le fatiguait ! Ce fut une commisération générale. En effet, il était un peu pâle, ses yeux se fermaient. Pensez donc ! quand on travaille depuis le matin cinq heures ! Rien ne brise comme les travaux de tête. Et, avec une douce violence, on exigea qu’il allât se coucher. Il obéit docilement, il se retira, après avoir posé un baiser sur le front de sa femme.

— Flaminio ! murmura la comtesse.

Elle aussi voulait se mettre au lit. Elle traversa la