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LES ROUGON-MACQUART.

joueur d’échecs ; et il hochait la tête, il ne trouvait sans doute rien. Quant à elle, les rares jours où Rougon venait encore la voir, elle se disait lasse, elle parlait d’aller en Italie passer trois mois. Puis, les paupières à demi closes, elle l’examinait d’un mince regard luisant. Un sourire de cruauté raffinée pinçait ses lèvres. Elle aurait pu tenter déjà de l’étrangler entre ses doigts effilés ; mais elle voulait l’étrangler net ; et c’était une jouissance, cette longue patience qu’elle mettait à regarder pousser ses ongles. Rougon, toujours très-préoccupé, lui donnait des poignées de main distraites, sans remarquer la fièvre nerveuse de sa peau. Il la croyait plus raisonnable, la complimentait d’obéir à son mari.

— Vous voilà presque comme je vous voulais, disait-il. Vous avez bien raison, les femmes doivent rester tranquilles chez elles.

Et elle criait, avec un rire aigu, quand il n’était plus là :

— Mon Dieu ! qu’il est bête !… Et il trouve les femmes bêtes, encore !

Enfin, un dimanche soir, vers dix heures, au moment où toute la bande était réunie dans la chambre de Clorinde, M. de Plouguern entra d’un air triomphant.

— Eh bien ! demanda-t-il en affectant une grande indignation, vous connaissez le nouvel exploit de Rougon ?… Cette fois, la mesure est comble.

On s’empressa autour de lui. Personne ne savait rien.

— Une abomination ! reprit-il, les bras en l’air. On ne comprend pas qu’un ministre descende si bas…

Et il raconta d’un trait l’aventure. Les Charbonnel, en arrivant à Faverolles pour prendre possession de l’héritage du cousin Chevassu, avaient fait grand bruit de la prétendue disparition d’une quantité considérable d’argenterie. Ils accusaient la bonne chargée de la garde de