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LES ROUGON-MACQUART.

avoir bien l’air d’une marchande de pains d’épice et d’oublies. Avec cela, elle affectait un zézaiement adorable, un petit air niais de la plus fine originalité. Sur le tourniquet, les lots étaient classés, d’affreux bibelots de cinq ou six sous, maroquinerie, verrerie, porcelaine ; et la plume grinçait contre les fils de laiton, la plaque tournante emportait les lots, dans un bruit continu de vaisselle cassée. Toutes les deux minutes, quand les joueurs manquaient, madame Bouchard disait de sa douce voix d’innocente, débarquée la veille de son village :

— À vingt sous le coup, messieurs… Voyons, messieurs, tirez un coup…

Le buffet, également sablé, orné aux angles de plantes vertes, était garni de petites tables rondes et de chaises cannées. On avait tâché d’imiter un vrai café, pour plus de piquant. Au fond, au comptoir monumental, trois dames s’éventaient, en attendant les commandes des consommateurs. Devant elles, des carafons de liqueurs, des assiettes de gâteaux et de sandwichs, des bonbons, des cigares et des cigarettes, faisaient un étalage louche de bal public. Et, par moments, la dame du milieu, une comtesse brune et pétulante, se levait, se penchait pour verser un petit verre, ne se reconnaissant plus au milieu de cette débandade de carafons, manœuvrant ses bras nus au risque de tout casser. Mais Clorinde régnait au buffet. C’était elle qui servait le public des tables. On eût dit Junon fille de brasserie. Elle portait une robe de satin jaune, coupée de biais de satin noir, aveuglante, extraordinaire, un astre dont la traîne ressemblait à une queue de comète. Décolletée très-bas, le buste libre, elle circulait royalement entre les chaises cannées, promenant des chopes sur des plateaux de métal blanc, avec une tranquillité de déesse. Elle frôlait les épaules des