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LES ROUGON-MACQUART.

de Rivoli. Gilquin les regarda s’éloigner, avec un haussement d’épaules plein de dédain.

— Encore des lâcheurs ! murmura-t-il ; tous des lâcheurs !

Brusquement, il aperçut Rougon. Il se dandina, l’attendit au passage, donna une tape sur sa casquette.

— Je ne suis pas allé te voir, lui dit-il. Tu ne t’en es pas formalisé, n’est-ce pas ?… Ce sauteur de Du Poizat a dû te faire des rapports sur mon compte. Des menteries, mon bon ; je te prouverai ça quand tu voudras… Enfin, moi, je ne t’en veux pas. Et, tiens, la preuve, c’est que je vais te donner mon adresse : rue du Bon-Puits, 25, à la Chapelle, à cinq minutes de la barrière. Voilà ! si tu as encore besoin de moi, tu n’as qu’à faire un signe.

Il s’en alla, traînant les pieds. Un instant, il parut s’orienter. Puis, menaçant du poing le château des Tuileries, au fond de l’allée, d’un gris de plomb sous le ciel noir, il cria :

— Vive la République !

Rougon quitta le jardin, remonta les Champs-Élysées. Il était pris d’un désir, celui de revoir sur l’heure son petit hôtel de la rue Marbeuf. Dès le lendemain, il comptait déménager du ministère, venir de nouveau vivre là. Il avait comme une lassitude de tête, un grand calme, avec une douleur sourde tout au fond. Il songeait à des choses vagues, à de grandes choses qu’il ferait un jour, pour prouver sa force. Par moments, il levait la tête, regardait le ciel. L’orage ne se décidait pas à crever. Des nuées rousses barraient l’horizon. Dans l’avenue des Champs-Élysées, déserte, de grands coups de tonnerre passaient, avec un fracas d’artillerie lancée au galop ; et la cime des arbres en gardait un frisson. Les premières gouttes de pluie tombèrent, comme il tournait le coin de la rue Marbeuf.