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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Un coupé était arrêté à la porte de l’hôtel. Rougon rencontra là sa femme qui examinait les pièces, mesurait des fenêtres, donnait des ordres à un tapissier. Il resta très-surpris. Mais elle lui expliqua qu’elle venait de voir son frère, M. Beulin-d’Orchère ; le magistrat, instruit déjà de la chute de Rougon, avait voulu accabler sa sœur, lui annoncer sa prochaine entrée au ministère de la justice, tâcher de jeter enfin la discorde dans le ménage. Madame Rougon s’était contentée de faire atteler, pour donner sur-le-champ un coup d’œil à leur prochaine installation. Elle gardait toujours sa face grise et reposée de dévote, son calme inaltérable de bonne ménagère ; et, de son pas étouffé, elle traversait les appartements, reprenait possession de cette maison qu’elle avait faite douce et muette comme un cloître. Son seul souci était d’administrer en intendant fidèle la fortune dont elle se trouvait chargée. Rougon fut attendri devant cette figure sèche et étroite, aux manies d’ordre méticuleuses.

Cependant, l’orage éclatait avec une violence inouïe. La foudre grondait, l’eau tombait à torrents. Rougon dut attendre près de trois quarts d’heure. Il voulut repartir à pied. Les Champs-Élysées étaient un lac de boue, une boue jaune, fluide, qui, de l’Arc-de-Triomphe à la place de la Concorde, mettait comme le lit d’un fleuve vidé d’un trait. L’avenue restait déserte, avec de rares piétons se hasardant, cherchant la pointe des pavés ; et les arbres, ruisselant d’eau, s’égouttaient dans le calme et la fraîcheur de l’air. Au ciel, l’orage avait laissé une queue de haillons cuivrés, toute une nuée sale, basse, d’où tombait un reste de jour mélancolique, une lumière louche de coupe-gorge.

Rougon reprenait son rêve vague d’avenir. Des gouttes de pluie égarée mouillaient ses mains. Il sentait davantage