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LES ROUGON-MACQUART.

Ce n’était encore que l’exorde. Bien qu’il eût promis de ne pas réfuter le discours du député de la gauche, il entra ensuite dans une discussion minutieuse. Il fit d’abord un exposé très-complet des arguments de son adversaire ; il y mettait une sorte de coquetterie, une impartialité dont l’effet était immense, comme dédaigneux de toutes ces bonnes raisons et prêt à les écarter d’un souffle. Puis, il parut oublier de les combattre, il ne répondit à aucune, il s’attaqua à la plus faible d’entre elles avec une violence inouïe, un flot de paroles qui la noya. On l’applaudissait, il triomphait. Son grand corps emplissait la tribune. Ses épaules, balancées, suivaient le roulis de ses phrases. Il avait l’éloquence banale, incorrecte, toute hérissée de questions de droit, enflant les lieux communs, les faisant crever en coups de foudre. Il tonnait, il brandissait des mots bêtes. Sa seule supériorité d’orateur était son haleine, une haleine immense, infatigable, berçant les périodes, coulant magnifiquement pendant des heures, sans se soucier de ce qu’elle charriait.

Après avoir parlé une heure sans un arrêt, il but une gorgée d’eau, il souffla un peu, en rangeant les notes placées devant lui.

— Reposez-vous ! dirent plusieurs députés.

Mais il ne se sentait pas fatigué. Il voulut terminer.

— Que vous demande-t-on, messieurs ?

— Écoutez ! écoutez !

Une profonde attention tint de nouveau les faces muettes, tournées vers lui. À certains éclats de sa voix, des mouvements agitaient la Chambre d’un bout à l’autre, comme sous un grand vent.

— On vous demande, messieurs, d’abroger la loi de sûreté générale. Je ne rappellerai pas l’heure à jamais maudite où cette loi fut une arme nécessaire ; il s’agis-