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LES ROUGON-MACQUART.

— Nous avons reçu une lettre de votre mère, répéta madame Charbonnel.

Et elle allait lire la lettre, lorsqu’il la lui prit pour la parcourir d’un regard. Les Charbonnel, anciens marchands d’huile de Plassans, étaient les protégés de madame Félicité, comme on nommait dans sa petite ville la mère de Rougon. Elle les lui avait adressés à l’occasion d’une requête qu’ils présentaient au Conseil d’État. Un de leurs petits-cousins, un sieur Chevassu, avoué à Faverolles, le chef-lieu d’un département voisin, était mort en laissant une fortune de cinq cent mille francs aux sœurs de la Sainte-Famille. Les Charbonnel, qui n’avaient jamais compté sur l’héritage, devenus brusquement héritiers par la mort d’un frère du défunt, crièrent alors à la captation ; et comme la communauté demandait au Conseil d’État d’être autorisée à accepter le legs, ils quittèrent leur vieille demeure de Plassans, ils accoururent à Paris se loger rue Jacob, hôtel du Périgord, pour suivre leur affaire de près. Et l’affaire traînait depuis six mois.

— Nous sommes bien tristes, soupirait madame Charbonnel, pendant que Rougon lisait la lettre. Moi, je ne voulais pas entendre parler de ce procès. Mais monsieur Charbonnel répétait qu’avec vous c’était tout argent gagné, que vous n’aviez qu’un mot à dire pour nous mettre les cinq cent mille francs dans la poche… N’est-ce pas, monsieur Charbonnel ?

L’ancien marchand d’huile branla désespérément la tête.

— C’était un chiffre, continua la femme, ça valait la peine de bouleverser son existence… Ah ! oui, elle est bouleversée, notre existence ! Savez-vous, monsieur Rougon qu’hier encore la bonne de l’hôtel a refusé de changer nos serviettes sales ! Moi qui, à Plassans, ai cinq armoires de linge !