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LES ROUGON-MACQUART.

amis, j’espère pouvoir agir sans me mettre en avant. Vous avez attendu si longtemps que, si vous partez demain…

— Nous resterons, nous resterons, se hâta de balbutier madame Charbonnel. Ah ! monsieur Rougon, voilà un héritage qui nous aura coûté bien cher !

Rougon revint vivement à ses papiers. Il promena un regard de satisfaction autour de la pièce, soulagé, ne voyant plus personne qui pût l’emmener encore dans une embrasure de fenêtre ; toute la bande était repue. En quelques minutes, il avança fort sa besogne. Il avait une gaieté à lui, brutale, se moquant des gens, se vengeant des ennuis qu’on lui imposait. Pendant un quart d’heure, il fut terrible pour ses amis, dont il venait d’écouter les histoires avec tant de complaisance. Il alla si loin, il se montra si dur pour la jolie madame Bouchard, que les yeux de la jeune femme s’emplirent de larmes, sans qu’elle cessât de sourire. Les amis riaient, accoutumés à ces coups de massue. Jamais leurs affaires n’allaient mieux qu’aux heures où Rougon s’exerçait les poings sur leur nuque.

À ce moment, on frappa un coup discret à la porte.

— Non, non, n’ouvrez pas, cria-t-il à Delestang qui se dérangeait. Est-ce qu’on se moque de moi ! J’ai déjà la tête cassée.

Et, comme on ébranlait la porte plus violemment :

— Ah ! si je restais, dit-il entre ses dents, comme je flanquerais ce Merle dehors !

On ne frappa plus. Mais, tout d’un coup, dans un angle du cabinet, une petite porte s’ouvrit, donnant passage à une énorme jupe de soie bleue, qui entra à reculons. Et cette jupe, très-claire, très-ornée de nœuds de ruban, demeura là un instant, à moitié dans la pièce,