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LES ROUGON-MACQUART.

avait grandi. Il était de sens épais, très-longs à s’éveiller. Ce qui l’attira d’abord dans Clorinde, ce fut cette pointe d’inconnu, toute une vie passée, toute une idée fixe d’avenir, qu’il croyait lire au fond de ses larges yeux de jeune déesse. On lui avait bien conté des anecdotes abominables, une première faiblesse pour un cocher, et plus tard un marché passé avec un banquier, qui aurait payé la fausse virginité de la demoiselle du petit hôtel des Champs-Élysées. Mais, à certaines heures, elle lui semblait si enfant, qu’il doutait, se promettant de la confesser, revenant pour avoir le mot de cette étrange fille, dont l’énigme vivante finissait par l’occuper autant qu’un problème délicat de haute politique. Il avait vécu jusque-là dans le dédain des femmes, et la première sur laquelle il tombait, était certes la machine la plus compliquée qu’on pût imaginer.

Le lendemain du jour où Clorinde était allée, au trot de son cheval de louage, lui porter une poignée de main de condoléance, à la porte du Conseil d’État, Rougon lui rendit une visite, qu’elle avait d’ailleurs exigée solennellement. Elle devait, disait-elle, lui montrer quelque chose qui le tirerait de ses humeurs noires. Il l’appelait en riant « son vice » ; il s’oubliait volontiers chez elle, amusé, chatouillé, l’esprit en éveil, d’autant plus qu’il l’épelait encore, aussi peu avancé que le premier jour. Comme il tournait le coin de la rue Marbeuf, il jeta un coup d’œil dans la rue du Colisée, sur l’hôtel habité par Delestang, qu’il croyait avoir déjà surpris plusieurs fois le visage entre les persiennes entre-bâillées de son cabinet, à guetter, de l’autre côté de l’avenue, les fenêtres de Clorinde ; mais les persiennes étaient closes, Delestang devait être parti le matin pour sa ferme-modèle de la Chamade.

La porte de l’hôtel Balbi était toujours grande ouverte.