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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Rougon, au bas de l’escalier, rencontra une petite femme noire, mal coiffée, traînant une robe jaune en loques, qui mordait dans une orange comme dans une pomme.

— Antonia, est-ce que votre maîtresse est chez elle ? lui demanda-t-il.

Elle ne répondit pas, la bouche pleine, agitant la tête violemment, avec un rire. Elle avait les lèvres toutes barbouillées du jus de l’orange ; elle rapetissait ses petits yeux, pareils à deux gouttes d’encre sur sa peau brune.

Rougon monta, habitué déjà au service débraillé de la maison. Dans l’escalier, il croisa un grand diable de domestique, à mine de bandit, à longue barbe noire, qui le regarda tranquillement, sans lui céder le côté de la rampe. Puis, sur le palier du premier étage, il se trouva seul, en face de trois portes ouvertes. Celle de gauche donnait dans la chambre de Clorinde. Il eut la curiosité d’allonger la tête. Bien qu’il fût quatre heures, la chambre n’était pas encore faite ; un paravent, déployé devant le lit, en cachait à demi les couvertures pendantes ; et, jetés sur le paravent, les jupons de la veille séchaient, tout crottés par le bas. Devant la fenêtre, la cuvette, pleine d’eau savonneuse, traînait à terre, tandis que le chat de la maison, un chat gris, dormait, pelotonné au milieu d’un tas de vêtements.

C’était au second étage que Clorinde se tenait habituellement, dans cette galerie dont elle avait fait successivement un atelier, un fumoir, une serre chaude et un salon d’été. À mesure que Rougon montait, il entendait grandir un vacarme de voix, de rires aigus, de meubles renversés. Et, quand il fut devant la porte, il finit par distinguer qu’un piano poitrinaire menait le tapage, pendant qu’une voix chantait. Il frappa à deux reprises, sans recevoir de réponse. Alors, il se décida à entrer.