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LES ROUGON-MACQUART.

— Ah ! bravo, bravo, le voilà ! cria Clorinde en frappant dans ses mains.

Lui, difficile d’ordinaire à décontenancer, resta un instant sur le seuil, timidement. Devant le vieux piano, qu’il tapait avec furie, pour en tirer des sons moins grêles, se tenait le chevalier Rusconi, le légat d’Italie, un beau brun, diplomate grave à ses heures. Au milieu de la pièce, le député La Rouquette valsait avec une chaise, dont il serrait amoureusement le dossier entre ses bras, si emporté par son élan, qu’il avait jonché le parquet des siéges culbutés. Et, dans la lumière crue d’une des baies, en face d’un jeune homme qui la dessinait au fusain sur une toile blanche Clorinde, debout au milieu d’une table, posait en Diane chasseresse, les cuisses nues, les bras nus, la gorge nue, toute nue, l’air tranquille. Sur un canapé, trois messieurs très-sérieux fumaient de gros cigares en la regardant, les jambes croisées, sans rien dire.

— Attendez, ne bougez pas ! cria le chevalier Rusconi à Clorinde qui allait sauter de la table. Je vais faire les présentations.

Et, suivi de Rougon, il dit plaisamment, en passant devant M. La Rouquette, tombé hors d’haleine dans un fauteuil :

— Monsieur La Rouquette, que vous connaissez. Un futur ministre.

Puis, s’approchant du peintre, il continua :

— Monsieur Luigi Pozzo, mon secrétaire. Diplomate, peintre, musicien et amoureux.

Il oubliait les trois messieurs sur le canapé. Mais, en se tournant, il les aperçut ; et il quitta son ton plaisant, il s’inclina de leur côté, en murmurant d’une voix cérémonieuse :

— Monsieur Brambilla, monsieur Staderino, monsieur Viscardi, tous trois réfugiés politiques.