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LES ROUGON-MACQUART.

de voix montait. Rougon prêta l’oreille par habitude, mais il n’entendit qu’un murmure rapide de syllabes italiennes. Le chevalier Rusconi, qui venait de se glisser derrière les meubles, s’appuyait d’une main au dossier du fauteuil de la comtesse, penché respectueusement vers elle, paraissant lui conter quelque affaire avec de longs détails. La comtesse se contentait d’approuver de la tête. Une fois, pourtant, elle eut un signe violent de dénégation, et le chevalier se pencha davantage, l’apaisa de sa voix chantante, qui coulait avec un gazouillis d’oiseau. Rougon, grâce à sa connaissance du provençal, finit par surprendre quelques mots qui le rendirent grave.

— Maman, cria brusquement Clorinde, est-ce que tu as montré au chevalier la dépêche d’hier soir ?

— Une dépêche ! répéta tout haut le chevalier.

La comtesse avait tiré d’une de ses poches un paquet de lettres, dans lequel elle chercha longtemps. Enfin elle lui remit un bout de papier bleu, très-chiffonné. Dès qu’il l’eut parcouru, il eut un geste d’étonnement et de colère :

— Comment ! s’écria-t-il en français, oubliant le monde qui était là, vous savez cela depuis hier ! Mais je n’ai eu la nouvelle que ce matin, moi !

Clorinde éclata d’un beau rire, ce qui acheva de le fâcher.

— Et madame la comtesse me laisse lui conter l’affaire tout au long, comme si elle l’ignorait !… Allons, puisque le siége de la légation est ici, je viendrai chaque jour y dépouiller la correspondance.

La comtesse souriait. Elle fouilla encore dans son paquet de lettres ; elle prit un second papier, qu’elle lui fit lire. Cette fois, il parut très-satisfait. Et la conversation à voix basse recommença. Il avait retrouvé son sourire respectueux. En quittant la comtesse, il lui baisa la main.