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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Et des pensées malhonnêtes lui venaient, tout un projet de séduction, dans lequel il la plantait là, après avoir été son maître. En vérité, il ne pouvait jouer le rôle d’un imbécile avec cette grande fille qui lui montrait ainsi ses épaules. Pourtant, il n’était plus bien sûr que la dentelle ne se fût pas dénouée toute seule.

— Est-ce que vous trouvez que j’ai les yeux gris, vous ? demanda Clorinde, en se rapprochant.

Il se leva, la regarda de tout près, sans troubler le calme limpide de ses yeux. Mais, comme il avançait les mains, elle lui donna une tape. Il n’avait pas besoin de toucher. Elle était très-froide, à présent. Elle s’enveloppait dans son chiffon, avec une pudeur qui s’alarmait des moindres trous. Il eut beau la plaisanter, la taquiner, faire mine d’employer la force, elle se couvrait davantage, poussait de petits cris, quand il effleurait la dentelle. D’ailleurs, elle ne voulut pas se rasseoir.

— J’aime mieux marcher un peu, disait-elle ; ça me dérouille les jambes.

Alors, il la suivit, ils marchèrent ensemble, de long en large. Il tâcha de la confesser à son tour. D’ordinaire, elle ne répondait pas aux questions. Elle avait une causerie à sauts brusques, coupée d’exclamations, entremêlée d’histoires qu’elle ne finissait jamais. Comme il l’interrogeait habilement sur une absence de quinze jours qu’elle avait faite avec sa mère, le mois précédent, elle enfila une suite interminable d’anecdotes sur ses voyages. Elle était allée partout, en Angleterre, en Espagne, en Allemagne ; elle avait tout vu. Puis, c’était une pluie de petites observations puériles sur la nourriture, sur les modes, sur le temps qu’il faisait. Quelquefois, elle commençait un récit dans lequel elle se mettait en scène, avec des personnages connus qu’elle nommait ; Rougon tendait l’oreille, croyait qu’elle allait