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LES ROUGON-MACQUART.

aller, sans un geste, de peur de l’arrêter. Elle l’examinait, le détaillait membre à membre, sondant son crâne, pesant ses épaules, mesurant sa poitrine. C’était décidément un homme solide, qui, toute forte qu’elle était, l’aurait jetée d’un tour de poignet sur son dos, et emportée ainsi sans se gêner, aussi haut qu’elle aurait voulu.

— Ah ! le bon ami ! dit-elle tout d’un coup. Ce n’est pas moi qui ai jamais douté !

Elle s’était soulevée, ouvrant les bras, laissant glisser la dentelle. Alors, elle reparut, plus nue, tendant la gorge, coulant ses épaules hors de la gaze, d’un mouvement si souple de chatte amoureuse, qu’elle sembla jaillir de son corsage. Ce fut une vision brusque, comme une récompense et une promesse accordées à Rougon. Et n’était-ce pas le morceau de dentelle qui avait glissé ? Elle le ramenait déjà, elle le nouait plus étroitement.

— Chut ! murmura-t-elle, Luigi gronde.

Et elle courut auprès du peintre, se pencha une seconde fois, lui parlant très-vite, dans le cou. Rougon, quand elle ne fut plus là, toute vibrante, frotta rudement ses mains, énervé, presque fâché. Elle lui causait à fleur de peau une irritation extraordinaire. Et il l’injuriait. À vingt ans, il n’aurait pas été plus bête. Elle venait de le confesser comme un enfant, lui qui depuis deux mois cherchait à la faire parler, sans tirer d’elle autre chose que de beaux rires. Elle n’avait eu qu’à lui refuser un instant ses poignets ; il s’était oublié jusqu’à tout dire, pour qu’elle les lui rendît. Maintenant, cela devenait clair, elle le conquérait, elle discutait s’il valait encore la peine d’être séduit.

Rougon eut un sourire d’homme fort. Il la briserait quand il voudrait. N’était-ce pas elle qui le provoquait ?