Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

se tenait debout sur la table, toujours enveloppée du morceau de dentelle noire. Puis, quand elle eut retrouvé la pose, elle se découvrit d’un seul geste. Elle redevenait un marbre, elle n’avait plus de pudeur.

Dans les Champs-Élysées, les voitures roulaient plus rares. Le soleil couchant enfilait l’avenue d’une poussière de soleil qui poudrait les arbres, comme si les roues eussent soulevé ce nuage de lumière rousse. Sous le jour tombant des hautes baies vitrées, les épaules de Clorinde se moirèrent d’un reflet d’or. Et, lentement, le ciel pâlissait.

— Est-ce que le mariage de monsieur de Marsy avec cette princesse valaque est toujours décidé ? demanda-t-elle au bout d’un instant.

— Mais je le pense, répondit Rougon. Elle est fort riche. Marsy est toujours à court d’argent. D’ailleurs, on raconte qu’il en est fou.

Le silence ne fut plus troublé. Rougon restait là, se croyant chez lui, ne songeant pas à s’en aller. Il réfléchissait, il reprenait sa promenade. Cette Clorinde était vraiment une fille très-séduisante. Il pensait à elle, comme s’il l’avait déjà quittée depuis longtemps ; et, les yeux sur le parquet, il descendait dans des pensées à demi formulées, fort douces, dont il goûtait le chatouillement intérieur. Il lui semblait sortir d’un bain tiède, avec une langueur de membres délicieuse. Une odeur particulière, d’une rudesse presque sucrée, le pénétrait. Cela lui aurait paru bon, de se coucher sur un des canapés et de s’y endormir, dans cette odeur.

Il fut brusquement réveillé par un bruit de voix. Un grand vieillard, qu’il n’avait pas vu entrer, baisait sur le front Clorinde, qui se penchait en souriant, au bord de la table.

— Bonjour, mignonne, disait-il. Comme tu es belle ! Tu montres donc tout ce que tu as ?