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UNE PAGE D’AMOUR.

— Vous êtes chez vous, répétait chaque soir madame Deberle, qui se prenait pour elle d’une de ces passions, dont elle vivait six mois. À demain. Tâchez de venir plus tôt, n’est-ce pas ?

Et Hélène était chez elle, en effet. Peu à peu, elle s’habituait à ce coin de verdure, elle attendait l’heure d’y descendre avec une impatience d’enfant. Ce qui la charmait, dans ce jardin bourgeois, c’était surtout la propreté de la pelouse et des massifs. Pas une herbe oubliée ne gâtait la symétrie des feuillages. Les allées, ratissées tous les matins, avaient aux pieds une mollesse de tapis. Elle vivait là, calme et reposée, ne souffrant pas des excès de la séve. Il ne lui venait rien de troublant de ces corbeilles dessinées si nettement, de ces manteaux de lierre dont le jardinier enlevait une à une les feuilles jaunies. Sous l’ombre enfermée des ormes, dans ce parterre discret que la présence de madame Deberle parfumait d’une pointe de musc, elle pouvait se croire dans un salon ; et la vue seule du ciel, lorsqu’elle levait la tête, lui rappelait le plein air et la faisait respirer largement.

Souvent, elles passaient l’après-midi toutes les deux, sans voir personne. Jeanne et Lucien jouaient à leurs pieds. Il y avait de longs silences. Puis, madame Deberle, que la rêverie désespérait, causait pendant des heures, se contentant des approbations muettes d’Hélène, repartant de plus belle au moindre hochement de tête. C’étaient des histoires interminables sur les dames de son intimité, des projets de réception pour le prochain hiver, des réflexions de pie bavarde au sujet des événements du jour, tout le chaos mondain qui se heurtait dans ce front étroit de jolie femme ; et cela mêlé à de brusques effusions d’amour pour les enfants, à des phrases émues qui célébraient