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UNE PAGE D’AMOUR.

ce témoin, qui le surveillait de ses grands yeux limpides. Mais ce dont Hélène souffrit surtout, ce fut de se sentir tout d’un coup embarrassée devant madame Deberle. Quand celle-ci rentrait, les cheveux au vent, et qu’elle l’appelait « ma chère », en lui racontant ses courses, elle ne l’écoutait plus de son air souriant et paisible ; au fond de son être, un tumulte montait, des sentiments qu’elle se refusait à préciser. Il y avait là comme une honte et de la rancune. Puis, sa nature honnête se révoltait ; elle tendait la main à Juliette, mais sans pouvoir réprimer le frisson physique que les doigts tièdes de son amie lui faisaient courir à fleur de peau.

Cependant, le temps s’était gâté. Des averses forcèrent ces dames à se réfugier dans le pavillon japonais. Le jardin, avec sa belle propreté, se changeait en lac, et l’on n’osait plus se risquer dans les allées, de peur de les emporter à ses semelles. Lorsqu’un rayon de soleil luisait encore, entre deux nuages, les verdures trempées s’essuyaient, les lilas avaient des perles pendues à chacune de leurs petites fleurs. Sous les ormes, de grosses gouttes tombaient.

— Enfin, c’est pour samedi, dit un jour madame Deberle. Ah ! ma chère, je n’en puis plus… N’est-ce pas ? soyez là à deux heures, Jeanne ouvrira le bal avec Lucien.

Et, cédant à une effusion de tendresse, ravie des préparatifs de son bal, elle embrassa les deux enfants ; puis, prenant en riant Hélène par les bras, elle lui posa aussi deux gros baisers sur les joues.

— C’est pour me récompenser, reprit-elle gaiement. Tiens ! je l’ai mérité, j’ai assez couru ! Vous verrez comme ce sera réussi.

Hélène resta toute froide, tandis que le docteur les regardait par-dessus la tête blonde de Lucien, qui s’était pendu à son cou.